Il y a des endroits dont on rêve longtemps.
J’ai rêvé des falaises de Moher pendant plus de 20 ans, depuis le jour où pour mon anniversaire, ma mère m’avait écrit un mot au dos d’une carte postale achetée dans un magasin irlandais de ma ville. J’avais 13 ans et un amour naissant pour l’Irlande sans y avoir mis les pieds. J’ai accroché cette carte sur un mur de ma chambre et j’ai rêvé devant ce petit bout d’Irlande pendant des années.
Je suis allée en Irlande, bien plus tard, et seulement à Dublin puis en Irlande du nord…loin encore des falaises de mes rêves. Et puis il y a presque un an, je suis partie en road trip avec des copines, initialement de Dublin vers la péninsule de Dingle. En préparant le voyage, j’ai vu la possibilité de faire le détour vers les falaises. C’était certes un grand détour mais mes copines ont été conciliantes. Elles ne savaient pas ce que ça représentait pour moi d’y aller.
Le jour J, nous partons de Dublin sous la pluie, nous roulons sous la pluie, nous nous arrêtons d’abord à Galway sous la pluie. J’aime la pluie, mais je n’avais jamais imaginé mes falaises sous un rideau d’eau. Sur la carte postale, le ciel était bleu et dégagé. Sur les derniers kilomètres qui nous rapprochent de la côte, le soleil tente une percée et j’exulte à l’arrière de la voiture. J’ai une chance de voir les falaises comme dans mes rêves, le ciel est même bleu.
Cinq minutes plus tard et trois virages plus loin, comme souvent en Irlande, le temps change. Je me revois sur le parking à courir vers le bord pour saisir le rayon de soleil avant qu’il ne s’échappe, pendant que mes copines étaient tranquillement parties aux toilettes. Je ne les attendais pas. Le ciel était redevenu gris en moins de temps qu’il n’a fallu pour garer la voiture. Il ne subsistait qu’une lueur au loin qui dorait la surface de l’océan. Mais l’essentiel était là, devant mes yeux qui soudain s’embrumaient par l’émotion d’être là, enfin là. Je m’empressais de faire ce que je ne fais jamais, prendre un selfie. Je ne me prends d’habitude jamais en photo mais il y avait un côté « je l’ai fait » à l’instant que j’ai voulu immortaliser. Ce n’est pas rien de réaliser un rêve d’ado.
Le temps que mes copines arrivent, il pleuvait. Le soleil n’allait vraiment pas revenir. Même si je n’ai pas voulu le montrer, mes larmes de joie se mêlaient avec les gouttes de pluie. En moins de cinq minutes, j’avais enlevé mes lunettes de vue dans lesquelles je ne voyais plus rien de toute façon. Il faudra profiter des falaises avec un peu de flou. Le gris du ciel, le noir des pierres, le bleu profond de l’eau et le vert rayonnant de la végétation qui s’accroche; les couleurs étaient tellement différentes de mon souvenir idéal de carte postale. J’étais envahie par la déception autant que par mon émotion de rêve réalisé. J’étais avec mes copines, j’étais entourée de touristes, mais j’avais l’impression d’être seule. C’était comme si l’ado au fond de moi et sa détresse d’alors ressortaient d’un paysage dans lequel elle n’était pourtant jamais allée, une nostalgie jamais vécue.
Plus on avançait, plus il pleuvait, moins j’arrivais à faire des photos avec mon appareil sous l’eau et les gouttes sur mon objectif. La frustration montait, c’était peine perdue. D’une certaine façon, il fallait faire le deuil de cette image d’Epinal que j’avais en tête depuis plus de vingt ans. C’était un peu comme si j’avais été invitée chez des amis, que je m’étais mise sur mon 31, et qu’en arrivant chez eux ils me proposaient une omelette car le frigo était vide. Les falaises ne voulaient pas s’offrir à moi. Elles ne voulaient pas se montrer sous leur meilleur jour, indifférentes à mes expectations. Elles ne m’avaient pas attendue, elles. Je connais l’Irlande pourtant, pourquoi est-ce que je n’avais pas envisagé cette option très probable de mauvais temps? Non, en vingt ans, ça ne m’avait jamais traversé l’esprit que le jour où je verrais enfin ces falaises, j’allais voir autre chose que la carte postale.
Pourtant, je ne dirais pas que j’étais vraiment déçue. J’étais sûrement trop excitée pour m’accrocher à la déception sur le moment. Mais une partie de moi était triste, certainement. Je ne pouvais pas en vouloir au ciel, elles étaient quand même si belles ces falaises, si majestueuses, si hautes, si fières, là à affronter les vagues. Ce ne sont que des falaises me direz-vous…oui mais elles étaient un peu à moi depuis tout ce temps.
C’est beau, cet article, cette rencontre ❤
Merci pour ce commentaire qui réchauffe le cœur 🙂
Il est beau ton article !
Merci beaucoup Kenza 😚
Bravo! Ce partage d’émotions est très beau! Ne pas s’en faire, les falaises seront toujours comme vous souhaitez les voir et le souvenir du réel s’estompera pour retrouver ce que cette carte postale porte en elle de possibilités et d’avenir, si vous le souhaitez !
Merci pour ce commentaire. C’est vrai que les deux images se superposent
Je comprends ta petite déception à force de désirer un endroit et de le vivre dans sa tête rien que pour soi, ça fait tout drôle de le voir en vrai. Ceci dit tes photos rendent bien et les falaises sont très jolies 🙂 Le temps leur donne un petit côté ténébreux et mystérieux.
Oui, une autre atmosphère que ma carte postale mais une atmosphère intéressante aussi. Merci pour ce commentaire 🙂
Très bel article, comme toujours. Même si celui-ci m’a beaucoup émue….
Bisous
Merci pour ce commentaire, ça me touche 🥰