L’île de Hoy, une histoire de rencontre(s)

ÎLE DE HOY

île de Hoy, archipel des Orcades, au nord de l’Ecosse

Si vous cherchez un lieu emblématique des Orcades, vous allez sans nul doute tomber sur une photo de Hoy. C’est cette image que j’ai fantasmé pendant toute la préparation de ce voyage. Comme on ne visite pas Paris sans voir la tour Eiffel, notre voyage dans les Orcades m’aurait parut incomplet sans aller sur Hoy. Jusqu’à mon arrivée dans l’archipel, j’avais pourtant peur de ne pas pouvoir m’y rendre, sans voiture cela paraissait mission impossible (merci l’office du tourisme à Kirkwall pour tous les bons conseils!). Pour être précise, il est facile de se rendre sur Hoy, avec ou sans voiture, mais il est plus compliqué d’atteindre le lieu que je voulais voir sur l’île car il n’y a pas de bus.

bateau Stromness

Hoy se trouve au large de Stromness, au sud de l’île principale des Orcades. La traversée est courte (30 min) mais l’atmosphère est dramatiquement différente de Mainland. On quitte le port de Stromness et ses ruelles pleines de charme pour les inquiétantes collines de Hoy. Point culminant de l’archipel, on les voit même depuis le centre de Mainland. C’est un petit ferry qui nous emmène, nous sommes environ 30 passagers. L’ambiance est bon enfant malgré la houle qui nous bouscule. Tout le monde se parle et fait connaissance comme une colonie qui part en vacances.

Hoy vu de Stromness

Flanqué d’un béret en tweed, d’un jean et d’une veste de pluie, un vieux monsieur nous aborde avec un accent à couper au couteau. Albert est écossais, il a 86 ans et voyage seul avec sa caravane. Il parle à tout le monde si bien qu’il devient vite la mascotte de l’expédition. Nous sommes les seules non-anglophones sur le ferry, rempli surtout par des familles anglaises.

Plus on s’approche, plus j’ai l’impression d’être Tintin à l’assaut de l’île noire. Les deux collines sont de plus en plus sombres à mesure que le bateau s’approche de l’île. Le ciel se bouche. Des dizaines d’oiseaux rôdent, ils font des rondes de surveillance au-dessus de nos têtes comme pour nous prévenir de ne pas aller plus loin.

Hoy sur le bateauarrivée sur Hoyarrivée sur Hoy 2

Nous débarquons à Moaness au pied de ces massives collines prises dans la brume. La plus haute ne mesure que 479 m de haut, mais elles me donnent comme un petit frisson. Elles nous toisent, elles nous jaugent. La plupart des passagers s’engouffre dans deux vans à quai. Sur Hoy, il n’y a pas de bus, seulement un service de van qu’il faut commander au préalable. Nous partons tous direction Rackwick (trois maisons dans les collines), point de départ de la randonnée. Les conversations vont bon train. Nous entendant parler français, une femme fluette aux cheveux gris nous interrompt. Anne-Marie, 75 ans, est toute excitée de parler français. Elle est de Toulouse mais voyage avec un groupe de marcheurs américains depuis plusieurs jours et parler anglais constamment est un gros effort. Mais c’est aussi pour s’améliorer en anglais qu’elle est ici. Professeur de yoga, elle nous parle avec une voix douce et calme. Elle est blessée au genou mais elle continue de marcher tous les jours avec la soif de découvrir que l’on perçoit jusque dans son regard. Elle a l’impression qu’avec l’âge elle se met des limites, elle ne veut plus voyager seule, elle parcourt pourtant le monde et moi je l’écoute d’un air admiratif nous parler de Californie et d’Indonésie. J’aimerais me contenter de ses limites à son âge.

Arrivée à Rackwick, la petite équipée se lance à l’assaut des collines. Nous avons tous le même objectif: atteindre les falaises à l’ouest de l’île pour voir le site du Old Man of Hoy. Albert était dans l’autre van mais nous rejoint à l’entrée du sentier. Il est seul, il n’est pas bien équipé pour la randonnée. Sa fille l’avait prévenu qu’il était trop vieux pour ça mais il ne l’a pas écoutée. Il tenait vraiment à voir ce lieu. Alors ma meilleure amie et moi adoptons Albert le temps de la randonnée et lui promettons de rester avec lui même si il marche moins vite. En file indienne, nous prenons vite de la hauteur sur ce petit chemin à travers les bruyères. Nous surplombons la baie de Rackwick, la mer est aussi grise que le ciel. Le sol est moelleux comme de la moquette, nous mettons les pieds sur des centaines d’années de bruyère fanée et décomposée, mes genoux capricieux approuvent la randonnée sur la tourbe.

vallée Hoy

Albert dans la bruyère Hoy

Albert dans la bruyère

Je parle tour à tour avec Albert, avec Anne-Marie ou avec une des Américaines selon si j’avance vite ou non. Nous partageons tous des histoires de voyageurs et étonnamment des petits bouts de vie plus profonds. Le grand air est propice aux confidences. Je marche aussi un peu seule, contemplative devant ce paysage romantique.

départ rando Hoyrando Hoy

Au détour d’un virage, je le vois pointer le bout de son nez. Le vieux monsieur de Hoy ne montre que le haut de sa tête, caché derrière les falaises, il se fait désirer mais on voit le bout du chemin. Albert est toujours en grande discussion avec nous, il fait déjà des plans pour nous emmener dans sa caravane dans d’autres coins de l’archipel. Il suit le rythme, il ne se plaint pas même si je perçois tous ses efforts pour arriver au but. Il y a de l’excitation dans l’air. Non seulement, le Old Man of Hoy nous attend là-bas au loin, mais en plus, le soleil livre bataille derrière les nuages. La mer n’est plus seulement grise, du bleu est venu souligner la ligne d’horizon.

Albert et M Hoy

Albert et ma meilleure amie avancent vers le Old Man

la tête du Old Man Hoy

Pour saluer le Old Man of Hoy, il faut s’approcher tout près. Il ne se dévoile entièrement qu’aux téméraires qui n’ont pas peur du vide. Ce qui n’est pas mon cas. Un pas après l’autre, j’essaie d’apprivoiser mes sensations pour le voir en entier. Finalement je m’assois. La falaise à pic ne me rassure pas mais la vue mérite de surmonter mon léger vertige. Et puis, comme un cadeau de bienvenue, le ciel se dégage enfin. Albert exulte. Il a réussi. La main sur mon épaule, il me dit un peu ému « we made it ». Et puis il s’exclame avec son œil malicieux « le vieil homme d’Aberdeen a rencontré le vieil homme de Hoy! », fier de son jeu de mots. Ca nous fait rire. S’en suit une séance photo avec son téléphone portable pour envoyer la preuve à sa fille…à 86 ans elle ne croyait pas en lui. Sacré exploit tout de même! Nous croisons nos compagnons de route, certains sont arrivés avant nous bien entendu, mais tous félicitent Albert. Anne-Marie arbore un sourire radieux « c’est incroyable cet endroit n’est-ce pas? ».

Old Man HoyOld Man of Hoy et goelandthe Old Man of Hoy

A ma petite échelle, je suis aussi fière de moi d’y être arrivée. La randonnée ne dure qu’une heure et demi mais je n’ai vraiment pas l’habitude de marcher et encore moins à travers des collines ou sur un terrain escarpé. A chacun son aventure. Je suis surtout emportée par l’émotion que me procure ce paysage. Je suis de ceux qui peuvent verser une larme devant la beauté de la nature. Et là je suis dans l’un des paysages les plus spectaculaires que j’ai vu. Les falaises de pierre rouge contrastent avec l’herbe immuablement verte qui les recouvre, qui elle-même contraste avec le bleu marine de la mer. Les lignes des strates de pierre tracent comme des rides sur le Old Man. Les sillons sont occupés par les oiseaux, ils planent au-dessus de nous, les falaises sont leur domaine. Au milieu du pic se dresse une grande faille verticale. C’est en entendant les gens autour de moi que je remarque deux hommes en train d’escalader le Old Man. Je n’arrive même pas à comprendre comment ils ont pu arriver là.

falaises de HoyOld Man of HoyOld Man alpinistes Hoy

Cheveux au vent, nous nous asseyons pour piquer-niquer. Mes yeux ont du mal à quitter l’horizon. Nous partageons nos provisions avec Albert, qui n’avait vraiment pas anticipé la durée de la randonnée et qui n’avait qu’un kitkat pour le remonter. Sans vraiment savoir pourquoi, ma meilleure amie avait préparé un sandwich en plus ce matin. Albert ne s’attarde pas trop. Je crois qu’il craint un peu le chemin du retour et de rater le van alors il part avant nous. Nous décidons de rester un peu pour profiter du lieu. Je suis comme hypnotisée, vraiment, cette rencontre avec le vieil homme de Hoy est plus forte que ce que j’avais imaginé. Nous nous posons pour croquer ce moment avec nos crayons mais il ne faudra pas dix minutes au ciel pour changer d’avis et rendre le dessin impossible. En un rien de temps, la météo se gâte, le vent tourne, le gris revient uniformiser le paysage. Nous prenons le chemin du retour nous aussi.

old man of Hoy 3falaises Hoy 2chemin de bruyère Hoymare Hoy

Je ne peux m’empêcher de m’arrêter fréquemment, de me retourner. J’admire une cascade qui se jette de la falaise dans la mer. Le ciel est changeant, le soleil n’a pas dit son dernier mot et tente toujours une percée. La lumière change presque à chaque seconde et avec elle les couleurs environnantes. C’est le même chemin, le même paysage qu’à l’aller, et pourtant tout est différent. Nous nous arrêtons sur un banc au bord de la baie de Rackwick. Le spot est parfait. La mer décline toute sa palette, elle passe du gris au noir, du turquoise au bleu profond, les falaises du marron au rouge et ocre. Le rose et le violet des bruyères viennent rythmer le vert des collines. La plage en contrebas est presque paradisiaque avec son eau émeraude. Un trou dans les nuages projette des milliers de diamants à la surface de l’eau jusqu’aux rives de la côte nord de l’Ecosse. Dans notre dos, nous sommes au milieu de la vallée, entourées de collines qui me font penser à celles d’Irlande. Nous ne disons rien, notre silence en dit déjà beaucoup.

baie de Rackwick Hoybaie Rackwick Hoyhorizon Hoy 2

Nous nous perdons en redescendant vers la vallée. Heureusement nous croisons une famille qui était sur notre ferry, perdue aussi mais pas pour longtemps. Le van est venu plus tôt que prévu et nous a oubliées. Le signal des portables est presque inexistant. Nous imaginons déjà un plan B pour descendre plus bas dans la vallée à un parking que l’on aperçoit et faire du stop. Finalement, nous réussissons à joindre la propriétaire du van et nous l’attendons sous un soleil éclatant. De retour au petit embarcadère, Albert nous attend, il a eu peur de ne pas nous revoir. Ce sont les mêmes passagers au retour sur le ferry, des visages familiers. J’ai l’impression de partager un secret avec eux, l’impression que nous faisons partie du même club, comme si cette île avait parlé à chacun de nous, comme si cette journée n’avait pas été ordinaire.

chemin vallée Hoymaisons Hoyvallée arbres Hoyroute Moaness Hoy

Et pour ceux qui sont curieux, Albert va bien. Nous avons échangé des emails et des photos. Il espère nous revoir un jour en Ecosse.

ILE DE HOY

7 réflexions sur “L’île de Hoy, une histoire de rencontre(s)

  1. Ton récit est divin et emprunt de poésie, je m’imagine là bas et je m’y vois déjà! L’Écosse nous fait de l’œil et tes articles confirment notre envie. On attend que l’Irlande soit un peu derrière nous pour éviter de faire des hâtives comparaisons… Tan pis j’en fait une quand même, ce petit bout de rocher malmené par la houle me rappelle Down Head Patrick, nous avions été bouleversés par cet endroit incroyable!

    • Merci pour ce gentil commentaire qui égaye ma journée! J’aime explorer l’Irlande et l’Ecosse et même si ce sont deux pays différents, il est vrai que certains paysages se ressemblent 🙂

  2. Un bel itinéraire de rencontre! C’est fou cette complicité qui s’est créée si vite!Et c’est vrai que les collines font un peu penser à l’île noire, j’avais beaucoup aimé cet album!

    • Oui, c’était vraiment une journée à part. Dans l’ensemble, il est extrêmement facile de rencontrer des gens dans les Orcades, les gens ont vraiment le contact facile et sont toujours prêts à vous aider, même quand on ne demande rien. D’ailleurs, je vais envoyer un email à Albert, voir si son confinement se passe bien 😉

  3. Quelle merveille cette île de Hoy !!! Et quelle chance tu as eu de pouvoir randonner jusqu’au vieil homme… J’ai visité l’île en janvier il y a deux ans et malheureusement, nous avons du rebrousser chemin en début de randonnée à cause de la pluie, le temps s’est gâté en quelques minutes, on n’y voyait plus rien ! Mais quelle souvenir de cette île, magnifique…

    • oh quel dommage! J’imagine la frustration de ne pas aller jusqu’au Old man. Même en août la météo avait été très changeante mais on a eu de la chance. Les Orcades sont vraiment un de mes voyages préférés. Tu es allé sur quelles îles?

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